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LE COMBATTANT
24 novembre 2016

LE FONCIER RURAL EN COTE D'IVOIRE,UNE RÉFORME EXPLOSIVE

parlement-ivoirien

Ouattara a décidé de retoucher la loi relative au domaine foncier rural du 23 décembre 1998. Une initiative curieuse et surprenante, au regard de la sensibilité de la question foncière et du contexte politique exécrable en Côte d’ivoire.

En effet, sous l’angle de la politique législative, l’initiative Ouattara remet en cause un acquis important de la loi foncière de 1998 : adoption d’une loi fondée sur un consensus politique et une adhésion sociale, dans un domaine conflictuel et dans un contexte multipartisan.

La loi relative au domaine foncier rural a été votée après avoir intégré les enseignements d’une vaste tournée dans toutes les régions de la Côte d’ivoire, au cours de laquelle des délégations de parlementaires sont allées recueillir le point de vue des populations. Interrogée sur la teneur des règles foncières traditionnelles et le contenu du projet de loi, la population a donné une réponse très claire : son adhésion à la propriété coutumière. Dans le même esprit, la loi a été fortifiée par le consensus politique réalisé entre les partis politique significatifs représentés à l’Assemblée nationale à l’époque (FPI, PDCI, RDR), en enregistrant un vote à l’unanimité des députés, moins une abstention.

Pour plusieurs observateurs, la politique législative mise à l’œuvre à l’occasion de l’adoption de cette loi, devrait servir d’exemple pour l’avenir dans d’autres domaines, pour mettre certains textes à l’abri des politiques. Cette politique législative rassurait plus d’un, surtout au moment où multipartisme faisait ses premiers pas, car elle constituait la preuve qu’au-delà des divisions partisanes, la nation ivoirienne pouvait se retrouver sur les sujets majeurs. Cet acquis étais d’autant plus important que les initiatives précédentes dans le domaines foncier, en déphasage avec les traditions africaines et la volonté populaire, s’étaient soldées par des échecs cuisants.

La loi du 20 mars 1963 portant code domanial fournit une illustration frappante à cet égard. Bien que votée, elle ne sera pas promulguée, le président de la République ayant demandé à l’Assemblée nationale de la « reprendre » à l’occasion d’une deuxième lecture, qui n’a jamais été organisée. En effet, dès que les échos de l’adoption de cette loi parvinrent dans les villages, la résistance farouche des chefs et des propriétaires coutumiers se manifesta de façon singulière. Albert Ley donne ainsi les raisons de la reculade du président Houphouet-Boigny : « Ce texte a repris l’idée de biens mis en valeur, immatriculés au nom de l’auteur de la mise en valeur qui sont immatriculés au nom de l’Etat. Ceci paraissait a priori très juste. Mais… les paysans ont appris qu’une commission domaniale devait venir dans chaque village pour délimiter les terrains mis en valeur et ceux non mis en valeur. Le paysan, qui est plus juriste, à vite compris et a voulu montrer à cette commission domaniale que tout était en valeur, et que, par conséquent l’Etat ne pouvait rein prendre. Comme les paysans ne pouvaient pas réaliser les mises en valeurs rapidement, ils ont fait des mises en valeur superficielle et ont mis le feu. La moitié de la Côte d’ivoire était en feu et le président a demandé d’où cela venait. On lui a répondu que c’était à cause du code domanial. Il a alors demandé que l’on supprime ce code domanial ». Observons d’ailleurs que cette loi avait été aussi votée « à l’unanimité, moins une abstention ». Mais, le contexte de parti unique n’avait pas favorisé l’expression démocratique qui aurait pu faire connaître la volonté profonde des masses paysannes. Composée de députés inscrits sur une liste unique à laquelle le seul parti politique avait préalablement donné son investiture, l’Assemblée nationale ressemblait plus à une chambre d’enregistrement qu’à un forum de débats. Du reste, l’actualité politique chargée du premier trimestre de l’année 1963, faite de suspicion généralisée du fait des arrestations qui s’étaient opérées, consécutives aux « évènements de 1963 », pouvait expliquer l’absence d’un débat contradictoire qui a conduit à ce vote à l’unanimité de la représentation nationale, en contradiction avec la volonté populaire.(…). Exclue des législatives par le refus du pouvoir actuel de créer les conditions politiques et sécuritaire d’une compétition saine entre les forces politiques, l’opposition significative conduite par le FPI est absente de l’Assemblée nationale. Les divisons nées de la guerre postélectorale avec la politique de « rattrapage ethnique » mise en œuvre par Ouattara, rendant illusoire toute politique de réconciliation nationale.

A l’Ouest de la Côte d’ivoire, le climat social est encore plus lourd. Au profit de la rébellion et de la guerre postélectorale(…), des centaines de milliers de burkinabé et de maliens se sont installés, depuis une dizaine d’année, dans les forêts classées et dans les plantations villageoises des autochtones wê (…). Des accusations de génocide sont constamment alléguées. Ce phénomène s’est poursuivi (…). D’ailleurs, cette immigration sauvage, suivie de l’occupation forcée des terres et forêts cultivables, concerne toutes les régions de la Côte d’ivoire y compris au Nord, à des degrés divers tout de même. Dans une situation récurrente de conflits opposant les autochtones ivoiriens, propriétaires coutumiers des terres, aux allogènes burkinabé essentiellement aujourd’hui protégés par les FRCI et par des milices burkinabé, il va de soi que toute initiative visant à retoucher cette loi est susceptible de créer une explosion sociale.

Ce contexte d’exclusion politique et sociale, d’invasion et de colonisation de terres. De conflits ouverts et de non réconciliation, fait courir le risque d’illégitimité à toute réforme dans le domaine du foncier rural. Il devrait donc dissuader tout politicien averti. Car, le vrai problème à résoudre actuellement, réside moins dans le «renforcement » de la loi de 1998, que dans l’occupation armée des terres par les milices burkinabé (…)

Hélas, l’histoire de la Côte d’ivoire semble se répéter. Car, c’est dans une atmosphère similaire que le colonisateur a construit son régime foncier, dont le décret du 26 juillet 1932 (régime de l’immatriculation) et la fameux décret du 15 novembre 1935 (réglementant les terres domaniales) qui  conduiront à l’expropriation des propriétaires coutumiers, au profit de l’Etat colonial et de ses colons européens et assimilés, au nom de la théorie des «  terre vacantes et sans maître » ou inexploitées. Avant la prise de ces décrets coloniaux, le Gouverneur Angoulvant se charge de décapiter l’élite paysanne dans une entreprise de « pacification de la Côte d’ivoire » (1908-1915). Des opérations militaires meurtrières furent menées contre diverses ethnies à l’occasion desquelles les valeureux soldats (paysans) ont été massacrés par l’armée coloniale, leurs chefs assassinés, internés ou déportés dans d’autres pays africains. (…) 

 UNE CONTRIBUTION DR KOUAKOU EDMOND 

JURISTE CONSULTANT

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Commentaires
Z
félicitations à vous !!! pour votre contribution
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