Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE COMBATTANT
23 janvier 2018

AFFAIRE CASSE DE LA BCEAO /LE GOUVERNEUR DACOURY : LA BCEAO NE SE PLAINT PAS, MIEUX, ELLE RECONNAIT N'AVOIR SUBI AUCUN PRÉJUDICE

gouverneur philippe

L’ancien Gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao), Philippe-Henri Dacoury-Tableyn’est pas du tout content de la manière dont son pays est actuellement gouverné. Il le dit clairement en relevant quelques aberrations de cette gouvernance, notamment dans les procès contre les personnalités proches de l’ancien chef de l’Etat Laurent Gbagbo. 

 Merci Monsieur le Gouverneur d’avoir consenti à nous accorder cette interview, rompant ainsi le silence que généralement, vous vous imposez. 
C'est moi qui vous remercie, Madame, de même que votre Site, L’HORIZONINFO.COM, qui entame ce rude combat pour les libertés et la liberté d'expression en Côte d'Ivoire. Dans cette Côte d'Ivoire née du 11 avril 2011, parler, dire la vérité ou raconter simplement des faits, peut vous envoyer tout droit au cimetière ou, avec un peu de chance, en prison. Mais ce n'est pas pour autant que nous devons nous taire, honteusement, face aux événements dramatiques et douloureux que vit notre malheureux pays depuis sept ans.

 Mais pour les autorités, tout va bien dans ce pays qui aurait retrouvé la voie de la paix et de la réconciliation. On nous dit aussi qu'au plan économique, tout va bien.
Oui, le pouvoir peut dire qu'il n'y a aucune situation dramatique dans ce pays, c'est en ligne avec sa logique. Une logique de renversement des valeurs. Pour les gens de ce régime, ce qui est tordu est tenu pour droit, ce qui est médiocre est présenté comme excellence et le mensonge devient la vérité, la norme. Pour eux, mais seulement à leur profit, rébellions et coups d'Etat constituent des moyens normaux et privilégiés d'accès au pouvoir d'Etat. Ainsi, pour parvenir au pouvoir, ils n'ont pas hésité à créer Guitrozon, Nahibly, Anokoi Kouté et tous les autres massacres. Aujourd'hui les Ivoiriens souffrent le calvaire d'une féroce dictature qui s'appuie sur le détournement, l'enrichissement illicite, le rattrapage ethnique, l'emprisonnement massif des opposants, leur maintien forcé en exil, le tout couronné par une politique de terreur meurtrière. Au regard de cette situation, dire que notre pays va bien, c'est prendre les Ivoiriens pour des demeurés, des idiots. Or, ils ne le sont pas, et ils le montreront, car aucune situation créée par l'homme n'est définitive, immuable. 

Pensez-vous que de simples dénonciations des agissements de ce pouvoir peuvent changer quelque chose?
Le peuple crie depuis longtemps sa misère et son désespoir, cela est visible et palpable. Nous ne devons pas rester insensibles face à cette souffrance. Dans toute société, en dehors des leaders politiques, il y a des leaders d'opinion, des leaders religieux et des personnes individuelles ou morales qui, de par leur position, leur probité et leur moralité, comptent et ont de l'influence dans cette société. Mais voilà, dans la Côte d'Ivoire d'aujourd'hui et dans tous les compartiments de la société, bon nombre de gens qui comptent et dont les prises de position peuvent avoir un impact certain dans le débat politique, sont devenus étrangement aphones. C'est le cas de certains chefs religieux, de personnalités et organisations qui, jadis très prolixes et critiques sous le régime du Président Gbagbo, sont devenus aujourd'hui muets comme des carpes et détournent leur regard et font semblant de ne pas voir ce qui se passe dans le pays depuis le 11 avril 2011. 

 Mais doit-on complètement désespérer de la société civile, de nos leaders religieux et autres personnalités de ce pays?
Non, il ne faut désespérer de rien. Fondamentalement le peuple ivoirien a l'espoir chevillé au corps. Il a veillé toute la nuit, une trop longue nuit, mais le destin de la nuit, même la plus épaisse, est de disparaître pour faire place au jour et à la lumière du soleil. Les excellentes, courageuses et constantes prises de position de l'Evêque de Yamoussoukro et, plus récemment, celle du Professeur Francis Wodié, ancien Président du Conseil Constitutionnel, sonne comme un rappel à l'ordre pressant à l'endroit des tenants du pouvoir. La vague d'indignation soulevée par le verdict du procès intenté contre le ministre Hubert Oulaye, montre que la coupe est pleine.

  À propos, vous étiez au Palais de Justice d'Abidjan- Plateau, le jeudi 28 décembre 2017, au procès du Pr Oulaye et à celui intenté par le régime au Président Gbagbo, au Pr Aké N'Gbo, aux ministres Dallo Désiré et Koné Katinan et à un groupe d'Huissiers, pour braquage de la BCEAO. Quels sont vos sentiments sur ces procès et notamment la peine de 20 ans à l'encontre du ministre Hubert Oulaye?

Les procès politiques intentés par le pouvoir Ouattara contre les proches du Président Laurent Gbagbo depuis 2011, se suivent et se ressemblent. En effet, ces procès brillent par la vacuité des propos du Procureur et des Avocats de l'Etat et leur incapacité à soutenir leurs accusations par des preuves. Et à  l'issue de ces procès, ce sont toujours de lourdes condamnations, connues d'avance, qui sont mécaniquement  prononcées.

 Mais le dernier procès intenté à Mme Simone EHIVET-GBAGBO, pour crime contre l'humanité, n'a pas suivi ce schéma, puisque Mme Gbagbo a été reconnue innocente au regard de cette accusation.
Oui, c'est vrai, le Tribunal l'a innocentée, et c'est la seule exception à la règle de condamnation systématique de tous les proches de Gbagbo. Mais le pouvoir en place, qui a considéré ce verdict de justice et de bon sens comme un regrettable dérapage de son appareil judiciaire, a vite repris les choses en mains en refusant de reconnaître ce verdict. Ainsi, quoique innocentée, Mme Gbagbo est toujours incarcérée…

 Elle est maintenue en prison à cause de la première peine qu’elle traînait déjà, celle de 20 ans, non ?
Oui c'est vrai, Mme Gbagbo a effectivement déjà été condamnée à 20 ans de prison pour " atteinte à la sûreté de l'Etat". Mais nous savons tous que ce verdict est une énorme mascarade. En effet, au moment des faits qui sont reprochés à l'ex-Première Dame, c'est à dire avant le 11 avril 2011, c'est bien le Président Gbagbo qui représentait l'Etat. Alors Mme Gbagbo et son époux auraient donc fomenté un coup d'Etat contre eux-mêmes? Cela n'a pas de sens. Tout le monde sait que l'acquittement de Mme Gbagbo, dans le second procès intenté contre elle, n'a jamais été du goût des tenants du pouvoir qui ont actionné le Procureur qui a fait appel. Par ailleurs, afin qu'aucun magistrat ne songe plus à faire preuve d'indépendance dans ses jugements, les juges du procès de Mme Simone Gbagbo ont tous fait l'objet de mouvement et d'affectation aux relents de punition. Poursuivant sa politique de hurlement contre l'ex-Première Dame, le régime vient d'interdire toute visite à Mme Gbagbo.

 La leçon a-t-elle été assimilée par les Magistrats?
Oui, ils ont reçu ce message du pouvoir 5/5, jugeons en: Le Professeur de Droit, ancien ministre, a été jugé pour assassinat de soldats de l'Onuci et des Frci, à l'Ouest du pays. Sa condamnation à 20 ans de prison repose sur la déclaration d'un individu en prison au Liberia. En effet, cette personne, un certain Richard, un libérien, qui aurait participé à la fameuse attaque meurtrière dans une localité de l'Ouest, a été arrêté et incarcéré par les autorités libériennes. C'est donc ce Richard qui, au Liberia, "aurait dit que quelqu'un lui a dit que le co-accusé de du ministre Oulaye a reçu 2 millions de Fcfa du ministre pour l'entretien des armes". Voilà ce qui condamne le ministre Oulaye à 20 ans de prison.

 Vous étiez présent à l'audience, quelle a été la réaction du public?
Deux réactions contradictoires, mais qui se justifient l'une et l'autre. Ce fût une grande indignation au sein d'une bonne partie du public d'amis, de connaissances et même de simples observateurs présents dans la salle d'audience. Indignation, parce qu'il est question de l'existence et de la vie d'un homme dont les droits les plus élémentaires sont foulés aux pieds. Mais dans le public, il y a eu aussi des rires, des rires moqueurs au regard de l'énormité du verdict. Un verdict si gros, si disproportionné et si décalé par rapport à la réalité des débats dans le prétoire, qu'il en devenait exagérément caricatural. Pour ma part, ayant depuis longtemps dépassé les sentiments de colère à l'égard de nos tortionnaires du moment, j'ai été envahi par un sentiment diffus fait de honte et de pitié. Honte pour la Côte d'Ivoire qui ne mérite pas ce traitement que le régime Ouattara lui fait subir. Dans le même temps, j'ai eu pitié de ces juges qui, on ne sait pour quelles raisons, ont accepté de laisser au vestiaire leurs cours de droit, leur indépendance de jugement et leur intime conviction, pour emboucher la trompette de la vassalité et du reniement de soi. Que ces magistrats et ces juges, aujourd'hui aux ordres d'un régime en perte de vitesse, se souviennent des prétendus complots des années 60. Le Président Félix Houphouët-Boigny, s'adressant aux ex-prisonniers politiques et au peuple, avait déclaré avoir été trompé et induit en erreur par certains de ces collaborateurs. Par la suite, certains en avaient payé lourdement le prix, comme pour dire que : " Quand on t'envoie, il faut savoir t'envoyer aussi". 

Les avocats du ministre ont fait appel, de plus, il n'a pas fait l'objet d'un mandat de dépôt. Peut-on alors espérer que la Cour d'appel, elle au moins, dira le droit?
Au regard de la vague d'indignation que ce verdict a soulevée dans le monde et pour redorer son blason, un régime, habité par la sagesse et le bon sens, aurait laissé les juges d'appel dire le droit en vue de redorer le blason de la Justice ivoirienne. Mais cela ne se passera pas ainsi, le jugement en appel, sauf extraordinaire, n'aura pas lieu, du moins pas maintenant. La liberté provisoire, brandie comme une épée de Damoclès, continuera de menacer le ministre Oulaye Hubert et tous les autres proches du Président Gbagbo, qui vivent cette malheureuse situation. Par cynisme, le pouvoir veut ainsi faire croire que ses victimes sont en liberté, alors qu'il les tient solidement en laisse par les cordes de la liberté provisoire, le gel des avoirs et l'interdiction de sortie du territoire national. 

Que va-t-il se passer au procès d'Abehi qui vient de commencer et au prochain procès de du ministre Lida.
Contre chaque personnalité proche du Président Gbagbo, Ouattara a au moins un grief particulier et personnel. Alors, on peut d'ores et déjà dire que Abehi, Lida et tous ceux qui passeront devant les juges du régime, seront lourdement condamnés. C'est dire que la paix et la réconciliation ne se feront pas avec ce régime. Sur ce terrain, comme sur tous les autres, Gbagbo a encore une grande longueur sur Ouattara. Tout au long de sa gouvernance, le Président Gbagbo a posé, de façon constante, des gestes de réconciliation, là où Ouattara, depuis sept ans, divise et pousse les Ivoiriens à l'affrontement.

 Dans l'autre procès où le Président Gbagbo, le Premier ministre Aké Ngbo, les ministres Dallo Désiré et Koné Katinan et un groupe d'huissiers, sont jugés pour, selon l'Accusation, le casse de la Bceao en 2011, le verdict ne sera donné qu'à la mi-janvier 2018, pourquoi ce report?
Moi, je me pose des questions sur le procès lui-même, pourquoi ce procès?

Certes, dans tous les procès intentés aux proches du Président Gbagbo, le pouvoir et son bras armé judiciaire, dans leur désir de condamnation vaille que vaille, se sont à chaque fois couverts de ridicule en ne réussissant même pas à maquiller correctement leur forfaiture. Mais ce procès du " casse de la Bceao" remportera le trophée du ridicule. Ce procès a franchi la frontière de la caricature et de l'ubuesque pour s'installer dans les lieux obscurs de ce que l'homme peut avoir de plus petitement et inutilement méchant en lui.

 En quoi ce procès est-il vraiment différent de ceux qui l'ont précédé?
Écoutez, et vous jugerez. Nous ne sommes pas tous des spécialistes du droit, mais nous savons, par le bon sens, que pour qu'il y ait procès, il faut, au moins, l'existence d'un délit, un plaignant et un présumé auteur du délit. Toutefois, s'agissant du cas dont nous parlons, aucun délit n'a été commis, il n'y a pas non plus de plaignant, mais le pouvoir et ses juges tiennent fermement des présumés coupables qu'ils s'apprêtent à condamner.

 Monsieur le Gouverneur, pouvez-vous être un peu plus explicite?
Dans cette affaire du " casse de la Bceao" par le Président Gbagbo et certains de ses collaborateurs, la Bceao ne se plaint pas, mieux, elle reconnaît n'avoir subi aucun préjudice. Deux audits externes et un audit interne l'ont confirmé. Enfin, les états financiers de la Bceao, des exercices 2011, 2013 et suivants, tous publiés, indiquent des résultats positifs et ne mentionnent aucun préjudice subi par l'institution.

Mais alors, qui a porté plainte?
C'est là qu'on nage en plein dans le folklore.  Au début, le pouvoir a accusé le Ministre Koné Katinan de s'être enfui au Ghana, en 2011, en emportant dans le coffre de sa voiture, 300 milliards volés à l'Agence Principale de la Bceao, à Abidjan. Dans sa frénésie à vouloir broyer Gbagbo et ses proches, le pouvoir ne s'est pas rendu compte qu'il faut, au moins, deux ou trois camions pour transporter 300 milliards de Fcfa en billets de 10 000 Fcfa. Pour corriger cette bourde, l'Etat a ramené le montant du préjudice fictif à un peu plus de 1 milliard. Mais toujours sans aucun plaignant avéré.

D'accord, il n'y a pas de plaignant mais, n’y a-t-il pas d'autres victimes en dehors de la Bceao? 
Je répète, dans cette affaire, c'est zéro préjudice, zéro plaignant, zéro victime, mais plusieurs accusés qui risquent la prison à perpétuité ou même la peine de mort, si elle était encore appliquée dans notre pays. 

Pourquoi des huissiers aussi sont poursuivis dans cette affaire?
Ce cas-là, c'est un autre boomerang qui reviendra vers ses auteurs, le moment venu. En effet, ces huissiers, auxiliaires de justice, ont été jugés et seront sûrement condamnés,  pour avoir signifié, en janvier 2011, à la demande de l'Etat de Côte d'Ivoire, un ordre de réquisition à la Bceao. Dans ces conditions, tous les fonctionnaires ivoiriens, y compris les juges eux-mêmes, sont susceptibles de passer devant un tribunal pour des actes et décisions pris aujourd'hui.

En ce début d’année, auriez-vous un mot d’espoir pour notre pays, Monsieur le Gouverneur?
Je souhaite une très bonne année 2018 aux prisonniers et aux exilés politiques et militaires de Ouattara. Je demande aux membres de leurs familles de garder espoir, car rien de ce que l'homme crée ne demeure éternellement. La libération du Président Gbagbo et de tous les autres prisonniers politiques, ici en Côte d'Ivoire, ne sera sûrement pas l'œuvre de Ouattara, mais elle surviendra sans l'ombre d'un doute.

Je vous remercie.

 Interview réalisée par

EUGENIE DALLO

lhorizoninfo@gmail.com

Publicité
Publicité
Commentaires
LE COMBATTANT
Publicité
Newsletter
33 abonnés
Visiteurs
Depuis la création 1 193 783
Archives
Publicité