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LE COMBATTANT
9 octobre 2017

INTERVIEW DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL LAURENT GBAGBO AU JOURNAL NOUVEL HORIZON.

N.H : Monsieur le Secrétaire Général, parmi les propositions que vous faites pour gouverner la Côte d’Ivoire en cas d’alternance, figure la suppression de la Caisse de Stabilisation. Que reprochez-vous exactement à cette structure ?

L.G : Ce n’est pas de cette façon que nous abordons le problème de la Caisse de Stabilisation. Mais cette institution a une histoire. Dans les années 50, il existait deux caisses en Côte d’Ivoire. Une caisse café et une caisse cacao. Toutes deux avaient été& créées par des planteurs colons et gérées par eux. En octobre 1954, une loi portant création de Caisses de Stabilisation a été votée à Paris.

Elle a été rendue applicable en Côte d’ivoire en septembre 1955. C’est ainsi que la Caisse de Stabilisation de Côte d’Ivoire a vu le jour. Quels étaient les objectifs de cette caisse et comment devait-elle fonctionner ?

La loi fixait un prix planché et un prix plafond. Chaque fois que le cours mondial  était supérieur au prix plafond, la Caisse de Stabilisation engrangeait le surplus et le gardait pour la période des vaches maigres. Le paysan vendait alors son produit au prix plafond. Pendant plusieurs années, grâce à ce système, la Caisse de Stabilisation a engrangé ce  surplus, parce que pendant longtemps le cours du marché a été supérieur au prix plafond. Et quand le cours descendait en-dessous du prix plafond, la Caisse intervenait pour garantir au paysan au moins, le prix planché.

Voilà décrit succinctement le mécanisme de la Caisse de Stabilisation et voilà pourquoi elle portait  ce nom.

Cette structure a bien fonctionné jusqu’à l’indépendance. En 1962, le Gouvernement de la Côte d’Ivoire a pris une loi qui a modifié le fonctionnement. En 1964, la Caisse est devenue une société d’Etat, on a alors évoqué la disparition des avantages du marché privilégié de la zone franc sous forme de contingents annuels.

Et depuis ce temps, le Gouvernement ivoirien fixe, de façon administrative, le prix d’achat du café et du cacao aux paysans. Tout ce qui est  en plus, la Caisse de Stabilisation le garde. Pour la campagne 1976-1977, la Caisse de Stabilisation a gardé, par devers elle, plus de 66% du prix d’achat d’un kilo de Café alors que le paysan lui, ne recevait que 12.5% de ce prix.  C’est cela  qui est un scandale.

N.H : Mais  le gouvernement rétorque que ce surplus a servi à financer le développement.

L .G : C’est justement ce que nous  lui reprochons. Parce qu’à partir de ce moment –là, la Caisse de Stabilisation ne joue plus son rôle de Stabilisation mais apparait comme un organisme de l’Etat dont la mission est de collecter un nouvel impôt. Et aujourd’hui où les prix baissent sur le marché mondial cette caisse est incapable de jouer le rôle pour lequel elle a été créée. Parce que dans les années passées on a utilisé ses ressources pour, comme vous le dites, financer le développement. Mais ce n’est pas sa vocation. Elle a été créée pour servir de bouclier aux paysans, pour les prémunir contre les catastrophes, les années maigres. Or là, elle est devenue  un instrument de collecte d’impôts.

Nous disons que le paysans sont mûrs pour suivre eux-mêmes, les cours du marché, nous proposons d’indexer le prix d’achat du café et du cacao aux paysans sur  le cours au marché international par le système de pourcentage.

Nous proposons donc de faire voter une loi qui garantit au paysan un prix minimum correspondant à 50% du prix de vente sur le marché mondial.

N.H : Vous  ne remettez pas en cause la structure mais vous dénoncez son utilisation et sa gestion.

L.G : Elle n’a pas servi à ce à quoi elle était destinée, d’autre part, pour certaines années, on ne sait pas exactement où est passé l’argent de la Caisse de stabilisation. Dans un ouvrage que  nous avons écrit en 1983, nous nous sommes posé la question. Des statistiques que l’on a fournies ne nous ont pas permis de répondre  à cette question. Et nous ne sommes pas les seuls à avoir fait ce constat. Mais la Caisse de Stabilisation a quand même des acquis. Elle a réussi a formé des cadres qui sont compétents pour prospecter le marché international, pour résoudre le problème de conditionnement des produits. Nous devons savoir tirer profit de cet atout.

N.H : Comment allez-vous utiliser ces compétences ?

L.G : D’une part, il faut que la collecte des produits revienne aux coopératives régionales. Je vous rappelle qu’au niveau de l’administration territoriale, notre proposition majeure est de créer un ensemble de dix régions en Côte d’Ivoire, financièrement autonomes. Chacune de ces régions possédera une grande coopérative à qui doit revenir le rôle de ramassage des produits, en accord avec  les banques nationales agricoles et les banques commerciales de la place. Par ce biais, les coopératives supprimeraient ou atténueraient très  fortement l’implication des intermédiaires dont certains font beaucoup de torts aux paysans. Et la caisse de Stabilisation, qui aura un rôle d’encadrement, va aider les coopératives régionales pour le stockage et   le conditionnement des produits. Elle va également les aider dans les négociations dans nos deux ports (Abidjan et  San-Pédro), avec les exportateurs. Elle va aussi aider à la prospection du marché international. C’est donc utiliser les cadres dont nous avons parlé plus haut.

N.H : Est-ce qu’avec ces 50% vous n’arrivez pas aux 66% d’emploi déguisé que vous dénoncez ?

L.G : Non, pas du tout. Avec ce pourcentage, quel que soit le cours du marché international, nous voulons garantir un prix minimum aux paysans en rapport avec le prix réel du café et du cacao sur le marché du café et du cacao sur le marché mondial. Les autres 50% vont financer les activités des coopératives régionales, leur permettre de disposer d’un fonds les mettant en situation d’intervenir en cas de sinistre ou en cas de déprime sur le marché mondial. Ils vont aussi alimenter entre autres choses pour le compte du planteur, une caisse d’assurance-maladie et une caisse de retraie ; l’idée de la caisse de retraite pour le paysan est nouvelle en Côte d’Ivoire, n’oublions pas de le souligner. Le paysan est un citoyen comme tout autre et quand ses forces de travail l’abandonnent à cause de l’âge, ses vieux jours ne doivent pas devenir un calvaire ni pour lui ni pour sa famille.

N.H : Et pour les régions qui ne produisent ni café ni cacao…

L.G : Prenons le cas des paysans du Nord. Ces derniers ne bénéficient pas de la vente du café- cacao. En tout cas, pas de façon directe. Dans nos réponses, nous nous sommes limités à ces deux produits parce que les questions ont porté sur eux. Sinon, dans chaque région de la Côte d’Ivoire, il dot avoir une coopérative. Le coton, la canne à sucre, l’ananas, le palmier à huile, le mil, le riz sont des cultures intéressantes. Mais on devra avoir une grande politique de solidarité. Nous sommes un mouvement de gauche et nous serons fiers de créer un tel élan. Tout ce qui est dans le sous-sol appartient à l’Etat. Ce qui veut dire que si une région n’a pas de ressources agricoles suffisantes pour faire son développement, l’Etat doit prélever sur les ressources du sous-sol  une certaine somme pour l’affecter à son budget. Même les régions favorisées victimes d’une catastrophes (sécheresse, inondation…) peuvent bénéficier des apports du soutien de cette grande caisse de solidarité. L’Etat est alors arbitre. Mais l’Etat ne doit pas se contenter de faire la compensation. Les régions administratives doivent comporter des structures économiques financières et de volonté politique. Nous devons aussi faire  en sorte que l’industrie s’implante dans ces régions.

N.H : Pour réaliser une telle politique, quelles doivent être les armes de l’Etat ?

L.G : Au plan économique, l’Etat doit contrôler les secteurs dits stratégiques et qui sont les télécommunications, l’eau, l’électricité. Pour l’eau, nous vous rassurons tout de suite. La SODECI est une société privée qui tourne assez bien et qui gagne de l’argent. C’est une bonne chose. Nous ne la nationaliserons pas en cas de victoire. Seulement, cette société ne couvre pas toute l’étendue du territoire. Et c’est cette part que l’Etat doit prendre en charge en créant une entreprise de secteur stratégique. L’objectif de cette entreprise ne sera pas de faire des bénéfices ; elle devra entreprendre des actions de développement.

Cette société d’Etat permettra de réaliser, par exemple, des irrigations dans les régions qui manquent d’eau. Elle procurera en même temps de l’eau potable aux régions qui n’en ont pas.

N.H : Monsieur le Secrétaire Général, vous avez parlé plus haut de l’instauration d’une assurance maladie et d’une caisse retraite. Nous avons quelques craintes parce que jusque-là. les structure de couvertures sociale mises sur pied n’ont pas toujours bien fonctionné, quand vos propositions incluent le monde paysan qui est difficile à cerner, nous hésitons un peu.

L.G : Si on a peur des difficultés, on ne cherche pas à gouverner. Votre question comporte deux volets. Le premier, le problème des paysans, est une injustice que nous devons réparer. Il n’est pas normal que ceux qui ont tenu l’économie ivoirienne à bout de bras, depuis 1920, n’aient pas de couverture sociale. Ils n’ont aucune assurance ni pour leur personne ni pour leurs biens. Ce n’est ni normal ni moral. Sur cet aspect des choses, nous ne reculerons pas, quelles que soient les difficultés. Nous devons trouver les moyens techniques nécessaires pour réaliser ce projet.

Le deuxième volet question pose le problème de gestion ; c’est vrai surtout quand on sait comment la CNPS a été gérée  et dans quel état se trouve la mutuelle des fonctionnaires ; il y a donc de quoi être prudent devant nos propositions. N’oubliez pas cependant que notre slogan est : DES HOMMES POUR UNE POLITIQUES NOUVELLE.

Nous voulons être en Côte d’Ivoire la poche de moralité. Le principe de la création d’une mutuelle de fonctionnaire est bon. Mais si la structure est mal gérée, il faut changer les hommes. Si une structure de couverture sociale mise en place n’est pas bonne, il faut la changer, imaginer autre chose. Quand on gouverne, on est un exemple. Si  nous-mêmes nous donnons l’exemple de la rigueur, de la bonne gestion de l’intégrité, ceux que nous nommerons à des postes de responsabilité ne dévieront pas.

N.H : Vous voulez être en Côte d4Ivoie la poche de la moralité. Comment expliquez-vous alors le ton du meeting d’Agboville ?

L.G : ce ton était voulu. Parce qu’avant Agboville, il y a eu Korhogo et Bonoua. Lors d’une conférence de presse à l’hôtel Hilton, nous avions lancé un appel à toutes les forces démocratiques et un avertissement au Gouvernement et aux dirigeants du PDCI. Ce parti doit jouer le jeu et cesser de se considérer comme un Parti-Etat.

A Korhogo et à Bonoua, le PDCI, parti au pouvoir, a commis des actes honteux. Quand nous ne disions rien, il pensait que c’était de la faiblesse…

Cela dit, aujourd’hui, nous n’avons pas de raison d’être inquiets, de faire des attaques ad hominien. Après Agboville, tous nos meetings commencent à bien se passer. Chaque fois que les autorités administratives et politiques ont respectés les règles républicaines, il n’y a ni casses ni attaques verbales. Ce fut le cas de Man, Touba, Grand-Bassam, Gagnoa Saïoua, Bouaflé, Bondoukou…

Le PDCI doit donc comprendre que c’est lui qui crée le désordre en multipliant les tracasseries politiques et administratives dans les villes et villages, en entretenant une terreur intolérable dans l’esprit des paysans, des chefs d’entreprises et des salariés. Il nous revient de partout que des élus locaux, responsables  du PDCI, menacent de renvoi tous ceux qui osent afficher leurs appartenance au FPI.

La démocratie était (et est encore en maints endroits) en danger de mort. Il nous fallait réagir pour la sauver. Nous avons réagi. En tout cas dans ce pays, il faut que tout le monde comprenne que le FPI ne s’est pas constitué en parti politique pour se laisser piétiner.

Si les gens d’en face sont courtois avec nous, nous saurons garder le ton qui a toujours été le notre, celui de la courtoisie.

Source: Le Nouvel Horizon

N*1-8- du 15 Août 1990 

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